samedi 4 janvier 2014

L’œuvre d’Hergé est un sujet inépuisable



Dominique Maricq, archiviste et auteur aux Studios Hergé,
lors de sa conférence à Vevey. (Photo Laurent Missbauer)
A quelques jours du 85e anniversaire de Tintin – dont les premières aventures ont été publiées le 10 janvier 1929 – Dominique Maricq, l’un des meilleurs connaisseurs de l’œuvre d’Hergé, nous apporte un nouvel éclairage sur «la longue histoire d’amour» entre la Suisse et Georges Remi, le père de Tintin.

Archiviste et auteur aux Studios Hergé à Bruxelles, Dominique Maricq a écrit de nombreux livres* sur Hergé. Lors de sa conférence sur Hergé et la Suisse, qui avait marqué l’automne dernier le finissage de l’exposition Lemancolia au Musée Jenisch de Vevey, il a notamment relevé que l’œuvre d’Hergé constituait «un sujet inépuisable».

Dominique Maricq, vous avez dit à Vevey «qu’on n’en avait jamais fini avec Hergé». Comment l’expliquez-vous?
Hergé a été l’un des plus grands artistes du XXe siècle. Tout le monde, ou presque, le sait et ses dessins ont été exposés dans des musées d’art comme le Centre national d’art de culture Pompidou à Paris ou le Musée Jenisch de Vevey où quelques-unes des planches les plus significatives de L’Affaire Tournesol ont côtoyé les tableaux de Courbet, Duchamp, Turner… Nombreux sont cependant ceux qui ignorent qu’Hergé maniait aussi bien la plume que le pinceau. Il n’était ni poète, ni écrivain, ni romancier, mais il était un peu de tout cela à la fois et appliquait à son écriture les mêmes exigences que celles qu’il déployait quand il s’agissait de dessiner ou de peindre. On est confondu devant les milliers de lettres qu’il a rédigées dans le cadre de sa vie professionnelle, mais aussi en relation avec sa vie sentimentale, affective et sociale.

Lors de votre conférence, vous avez justement montré une lettre qu’Hergé avait écrite à Gland où il séjourna plusieurs fois. Quel a été le rôle de la Suisse dans l’œuvre d’Hergé?
Il a été très important car il est sans cesse revenu en Suisse. Il y a en outre noué de solides amitiés. Et pas seulement dans le cadre de ses relations professionnelles avec l’Echo Illustré qui a publié ses dessins à partir de 1932. Il s’est par exemple lié d’amitié avec des particuliers à une période où il n’allait vraiment pas bien et il n’est pas anodin de le signaler car Hergé ne s’ouvrait pas facilement à des gens qu’il ne connaissait pas. Je suis convaincu qu’il reste encore beaucoup de choses à écrire et à découvrir sur Hergé et la Suisse.

Quelle est justement votre dernière découverte à ce sujet?
C’est celle qui a trait à une seconde mise à l’index de Tintin en Suisse en 1955. Si la première, prononcée en 1953 par l’Etat de Vaud qui avait taxé Tintin de «littérature immorale», est désormais connue, il en va différemment pour celle émanant de Suisse alémanique et datée du 20 octobre 1955. Elle qualifiait les bandes dessinées de «peste internationale». Cette aversion des bandes dessinées n’était cependant pas propre à la Suisse. Des phénomènes similaires ont également été observés à la même époque en France et au Québec.

A propos de découvertes, comment avez-vous trouvé l’exposition Lemancolia à Vevey?
Dominique Maricq (à dr.) en compagnie de Dominique
Radrizzani, commissaire de l'exposition Lemancolia au
Musée Jenisch de Vevey. (Photo Laurent Missbauer)
J’ai découvert une exposition d’une intelligence et d’une clairvoyance remarquable. Dominique Radrizzani, le commissaire de l’exposition, a un grand sens de l’art pictural et a très bien réussi à réunir toutes les déclinaisons du lac Léman, de la plénitude à la mélancolie. Le Léman n’est vraiment pas un lac comme les autres. Son attrait est tel que je ne m’étonne pas qu’Hergé se soit rendu aussi souvent sur ses rives. Pour moi, qui me suis déplacé pour la première fois dans votre beau pays, cela restera une très belle découverte. Tout aussi belle a été la mise en parallèle au Musée Jenisch des découpures de Jean Huber avec la case de L’Affaire Tournesol où Tintin et le capitaine Haddock quittent leur embarcation et accostent de nuit sous un saule pleureur. La mise en parallèle du tableau La Mise au tombeau de Simon Vouet avec la couverture de L’Affaire Tournesol a également été très intéressante.

L’Affaire Tournesol est donc bien un album à part dans l’œuvre d’Hergé…
Absolument! Il reflète en outre parfaitement le formidable potentiel graphique d’Hergé. Tout, depuis la couverture jusqu’à la dernière page, témoigne de la grande maturité acquise par Hergé au niveau du scénario. En un coup de tonnerre, on passe du calme de la campagne belge à des aventures pleines de rebondissements sur les rives du Léman et le fil rouge de l’intrigue témoigne d’une précision digne des meilleures montres suisses!    Textes et photos Laurent Missbauer

(Encadré 1)
 Le plongeon du taxi de Tintin
C'est sur la quatrième couverture du livre Lemancolia que figure
le célèbre plongeon du taxi de Tintin et du capitaine Haddock
dans le lac Léman. (Photo Laurent Missbauer)
Le grand souci du détail apporté au scénario de ses albums constitue une des marques de fabrique d’Hergé. Un autre point fort d’Hergé, selon Dominique Radrizzani, commissaire de l’exposition Lemancolia, réside dans son travail préparatoire: «Les extraordinaires crayonnés de L’Affaire Tournesol que nous avons présentés à Vevey montrent parfaitement quels bouillonnements graphiques et foisonnements de traits précèdent et sous-tendent chez Hergé la proverbiale justesse du dessin.» Ce n’est pas là le moindre des mérites de cette exposition dont la pérennité est assurée par le magnifique livre Lemancolia, traité artistique du Léman paru aux Editions Noir sur Blanc. Celui-ci ne présente pas seulement les crayonnés évoqués ci-dessus mais sa quatrième couverture est entièrement dédiée à la fameuse case de L’Affaire Tournesol où le taxi de Tintin et du capitaine Haddock plonge dans le lac Léman. «C’est à Tintin, incontestablement, que le Léman doit l’une de ses plus belles aventures artistiques», estime Dominique Radrizzani. LM

(Encadré 2)
Fanny et Nick Rodwell ont visité Lemancolia
Fanny Rodwell et son mari
Nick. (Photo Laurent Missbauer)
«Fanny et Nick Rodwell (Ndlr.: respectivement présidente et administrateur délégué de la société Moulinsart qui gère les droits de l’œuvre d’Hergé) sont venus cet été au Musée Jenisch de Vevey», relève Dominique Radrizzani, le commissaire de l’exposition Lemancolia. «Ils ont beaucoup apprécié l’exposition, notamment les œuvres de Kokoschka, Turner et Balthus. Ce dernier connaissait par ailleurs très bien Tintin. Il m’avait raconté qu’il avait passé toute une nuit à relire les albums de Tintin en compagnie d’Alberto Giacometti.» A ce sujet, Balthus confia ce qui suit à Dominique Radrizzani: «Plus Alberto et moi entrions dans les dessins, plus nous étions émerveillés et plus nous nous amusions…» Et en guise de conclusion, Balthus lui déclara ce qui suit: «Tintin? Je le préfère à Matisse, c’est aussi simplifié, mais c’est plus amusant!» LM 


* Nota bene: Dominique Maricq est notamment l’auteur des livres «Hergé par lui-même», «Hergé côté jardin, un dessinateur à la campagne», «Les trésors de Tintin», «Cinq timbres à la Lune» et «Tintin et la ville».
Voici quelques-uns des livres de Dominique
Maricq. (Photo Laurent Missbauer)






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire