Dominique Maricq, archiviste et auteur aux Studios Hergé, lors de sa conférence à Vevey. (Photo Laurent Missbauer) |
A quelques jours du 85e anniversaire de Tintin – dont
les premières aventures ont été publiées le 10 janvier 1929 – Dominique Maricq, l’un des meilleurs connaisseurs de l’œuvre d’Hergé, nous apporte un nouvel éclairage
sur «la longue histoire d’amour» entre la Suisse et Georges Remi, le père de
Tintin.
Archiviste et auteur aux Studios Hergé à Bruxelles, Dominique Maricq a écrit de nombreux livres* sur Hergé. Lors de sa conférence sur Hergé et la Suisse, qui avait marqué l’automne dernier le finissage de l’exposition Lemancolia au Musée Jenisch de Vevey, il a notamment relevé que l’œuvre d’Hergé constituait «un sujet inépuisable».
Dominique Maricq, vous avez dit à Vevey «qu’on n’en avait jamais fini avec Hergé».
Comment l’expliquez-vous?
Hergé a été l’un des plus
grands artistes du XXe siècle. Tout le monde, ou presque, le sait et
ses dessins ont été exposés dans des musées d’art comme le Centre national
d’art de culture Pompidou à Paris ou le Musée Jenisch de Vevey où quelques-unes
des planches les plus significatives de L’Affaire
Tournesol ont côtoyé les tableaux de Courbet, Duchamp, Turner… Nombreux
sont cependant ceux qui ignorent qu’Hergé maniait aussi bien la plume que le
pinceau. Il n’était ni poète, ni écrivain, ni romancier, mais il était un peu
de tout cela à la fois et appliquait à son écriture les mêmes exigences que celles
qu’il déployait quand il s’agissait de dessiner ou de peindre. On est confondu
devant les milliers de lettres qu’il a rédigées dans le cadre de sa vie
professionnelle, mais aussi en relation avec sa vie sentimentale, affective et
sociale.
Lors de votre conférence, vous avez justement montré
une lettre qu’Hergé avait écrite à Gland où il séjourna plusieurs fois. Quel a
été le rôle de la Suisse dans l’œuvre d’Hergé?
Il a été très important car
il est sans cesse revenu en Suisse. Il y a en outre noué de solides amitiés. Et
pas seulement dans le cadre de ses relations professionnelles avec l’Echo Illustré qui a publié ses dessins à
partir de 1932. Il s’est par exemple lié d’amitié avec des particuliers à une
période où il n’allait vraiment pas bien et il n’est pas anodin de le signaler
car Hergé ne s’ouvrait pas facilement à des gens qu’il ne connaissait pas. Je
suis convaincu qu’il reste encore beaucoup de choses à écrire et à découvrir
sur Hergé et la Suisse.
Quelle est justement votre dernière découverte à ce
sujet?
C’est celle qui a trait à
une seconde mise à l’index de Tintin en Suisse en 1955. Si la première,
prononcée en 1953 par l’Etat de Vaud qui avait taxé Tintin de «littérature immorale», est désormais connue,
il en va différemment pour celle émanant de Suisse alémanique et datée du 20
octobre 1955. Elle qualifiait les bandes dessinées de «peste internationale». Cette aversion des bandes dessinées n’était
cependant pas propre à la Suisse. Des phénomènes similaires ont également été
observés à la même époque en France et au Québec.
A propos de découvertes, comment avez-vous trouvé
l’exposition Lemancolia à Vevey?
Dominique Maricq (à dr.) en compagnie de Dominique
Radrizzani, commissaire de l'exposition Lemancolia au
Musée Jenisch de Vevey. (Photo Laurent Missbauer) |
J’ai découvert une
exposition d’une intelligence et d’une clairvoyance remarquable. Dominique
Radrizzani, le commissaire de l’exposition, a un grand sens de l’art pictural
et a très bien réussi à réunir toutes les déclinaisons du lac Léman, de la
plénitude à la mélancolie. Le Léman n’est vraiment pas un lac comme les autres.
Son attrait est tel que je ne m’étonne pas qu’Hergé se soit rendu aussi souvent
sur ses rives. Pour moi, qui me suis déplacé pour la première fois dans votre beau
pays, cela restera une très belle découverte. Tout aussi belle a été la mise en
parallèle au Musée Jenisch des découpures de Jean Huber avec la case de L’Affaire Tournesol où Tintin et le
capitaine Haddock quittent leur embarcation et accostent de nuit sous un saule
pleureur. La mise en parallèle du tableau La
Mise au tombeau de Simon Vouet avec la couverture de L’Affaire Tournesol a également été très intéressante.
L’Affaire
Tournesol est donc bien un album à part dans l’œuvre d’Hergé…
Absolument! Il reflète en
outre parfaitement le formidable potentiel graphique d’Hergé. Tout, depuis la
couverture jusqu’à la dernière page, témoigne de la grande maturité acquise par
Hergé au niveau du scénario. En un coup de tonnerre, on passe du calme de la
campagne belge à des aventures pleines de rebondissements sur les rives du
Léman et le fil rouge de l’intrigue témoigne d’une précision digne des meilleures
montres suisses! Textes et photos Laurent
Missbauer
(Encadré 1)
Le plongeon du taxi de Tintin
C'est sur la quatrième couverture du livre Lemancolia que figure le célèbre plongeon du taxi de Tintin et du capitaine Haddock dans le lac Léman. (Photo Laurent Missbauer) |
Le grand souci du détail
apporté au scénario de ses albums constitue une des marques de fabrique
d’Hergé. Un autre point fort d’Hergé, selon Dominique Radrizzani, commissaire
de l’exposition Lemancolia, réside
dans son travail préparatoire: «Les extraordinaires crayonnés de L’Affaire Tournesol que nous avons présentés
à Vevey montrent parfaitement quels bouillonnements graphiques et foisonnements
de traits précèdent et sous-tendent chez Hergé la proverbiale justesse du
dessin.» Ce n’est pas là le moindre des mérites de cette exposition dont la
pérennité est assurée par le magnifique livre Lemancolia, traité artistique du Léman paru aux Editions Noir sur
Blanc. Celui-ci ne présente pas seulement les crayonnés évoqués ci-dessus mais sa
quatrième couverture est entièrement dédiée à la fameuse case de L’Affaire Tournesol où le taxi de Tintin
et du capitaine Haddock plonge dans le lac Léman. «C’est à Tintin,
incontestablement, que le Léman doit l’une de ses plus belles aventures artistiques»,
estime Dominique Radrizzani. LM
(Encadré 2)
Fanny et Nick Rodwell ont visité Lemancolia
Fanny Rodwell et son mari Nick. (Photo Laurent Missbauer) |
«Fanny et Nick Rodwell
(Ndlr.: respectivement présidente et administrateur délégué de la société
Moulinsart qui gère les droits de l’œuvre d’Hergé) sont venus cet été au Musée
Jenisch de Vevey», relève Dominique Radrizzani, le commissaire de l’exposition
Lemancolia. «Ils ont beaucoup apprécié l’exposition, notamment les œuvres de
Kokoschka, Turner et Balthus. Ce dernier connaissait par ailleurs très bien
Tintin. Il m’avait raconté qu’il avait passé toute une nuit à relire les albums
de Tintin en compagnie d’Alberto Giacometti.» A ce sujet, Balthus confia ce qui
suit à Dominique Radrizzani: «Plus Alberto et moi entrions dans les dessins,
plus nous étions émerveillés et plus nous nous amusions…» Et en guise de
conclusion, Balthus lui déclara ce qui suit: «Tintin? Je le préfère à Matisse,
c’est aussi simplifié, mais c’est plus amusant!» LM
* Nota bene: Dominique Maricq est notamment l’auteur des livres «Hergé par lui-même», «Hergé côté jardin, un dessinateur à la campagne», «Les trésors de Tintin», «Cinq timbres à la Lune» et «Tintin et la ville».
* Nota bene: Dominique Maricq est notamment l’auteur des livres «Hergé par lui-même», «Hergé côté jardin, un dessinateur à la campagne», «Les trésors de Tintin», «Cinq timbres à la Lune» et «Tintin et la ville».
Voici quelques-uns des livres de Dominique Maricq. (Photo Laurent Missbauer) |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire