mardi 2 août 2016



Formule 1

Ermanno Cuoghi aujourd'hui.
Photo Laurent Missbauer
Ermanno Cuoghi, l’un des meilleurs mécaniciens au monde, revient pour sur le terrible Grand-Prix d’Allemagne du 1er août 1976

De Sala Braganza,
Laurent Missbauer, rédacteur
Premier août 1976, 1er août 2016. Il y a exactement 40 ans, Niki Lauda faillit perdre la vie au Nürburgring. Au lendemain du Grand-Prix d’Allemagne qui a été remporté dimanche par Lewis Hamilton, Ermanno Cuoghi, ancien chef mécanicien du pilote autrichien après avoir été celui des Suisses Jo Siffert et de Clay Regazzoni, revient sur ce terrible accident que Niki Lauda appelle, cyniquement, le «barbecue du Nürburgring».
Couverture du livre que Jeremy
Walton a consacré à Ermanno
Cuoghi. Photo Laurent Missbauer
«Ermanno Cuoghi n’est pas seulement un mécanicien extrêmement talentueux, c’est également une personne qui possède un tempérament fantastique et qui est toujours aimable, même lorsqu’il a parfois fallu réparer une voiture de course jusqu’à 4 heures du matin.» Telles sont quelques-unes des louanges que l’on peut lire dans la préface du livre que Jeremy Walton avait consacré en 1979 à Ermanno Cuoghi, l’un des meilleures chefs mécaniciens au monde.
John Wyer (à g.) avec Jo Siffert et
Brian Redman (à dr.), brillants vainqueurs
de la Targa Florio de 1970. Photo Porsche
Et ces louanges n’ont pas été écrites par n’importe qui, mais bien par John Wyer, le directeur de l’écurie John Wyer Automotive qui a remporté à deux reprises, en 1968 et 1969, les 24 Heures du Mans avec les célèbres Ford GT40 aux couleurs Gulf et qui a permis à Porsche de signer 12 victoires, de 1970 à 1971, dans le championnat du monde d’endurance avec les fabuleuses Porsche 908/3 et 917, elles aussi aux couleurs du pétrolier Gulf.

L'auteur de l'article avec Ermanno Cuoghi.
Photo Anne Dayer
C’est à Sala Braganza, une petite ville italienne qui n’est pas très éloignée de Maranello, le fief de Ferrari, qu’habite aujourd’hui Ermanno Cuoghi. Il nous a reçus dans son appartement où il goûte désormais à une retraite amplement méritée. Pendant près de 50 ans, il a en effet parcouru pratiquement toute la planète au service des plus grands champions. Après avoir été associé aux victoires remportées par Jo Siffert au volant des célèbres Porsche 917 Gulf, son nom est avant tout lié aux deux titres mondiaux de Niki Lauda chez Ferrari en 1975 et 1977. Le pilote autrichien était même largement en tête du championnat du monde de 1976 avant d’être victime du grave accident que l’on sait, le 1er août 1976, au Nürburgring. Gravement brûlé, il resta plusieurs jours entre 
L'accident de Niki Lauda reconstitué pour
les besoins du film Rush sorti en 2013.
la vie et la mort, reçut l’extrême-onction et reprit la compétition après seulement un mois avant de perdre le titre à la dernière course, un scénario incroyable qui a inspiré le film Rush en 2013 au réalisateur américain Ron Howard.

Quarante ans après ce GP d’Allemagne, Ermanno Cuoghi revient, en exclusivité pour notre magazine «Grand Tourisme», sur ce qu’il qualifie «d’un des pires moments de sa vie»: «Je me souviens très bien que le départ de la course avait été donné sur une piste encore humide et que, le circuit s’étant rapidement asséché, presque tous les pilotes s’arrêtèrent pour changer de pneus. C’est juste après son changement de pneumatiques que Niki a eu son accident. Aux boxes, nous avions entendu le speaker du circuit dire: «Niki Lauda a perdu une roue et est violemment sorti de la piste». Dans ces conditions, tu t’imagines tout de suite que tes mécaniciens n’avaient peut-être pas serré correctement un des boulons des quatre roues. Et, en tant que superviseur de l’équipe de mécaniciens de Niki, j’étais responsable de mes gars et j’étais dans tous mes états car nous savions que c’était très grave et que Niki avait été héliporté à l’hôpital de Mannheim.»

Ermanno Cuoghi examine ce qui reste
de la Ferrari de Niki Lauda dans les
anciens boxes du Nürburgring.
Ermanno Cuoghi était certes persuadé que ses mécaniciens avait effectué leur travail correctement, mais il voulait en avoir le cœur net. «Dès que la carcasse de la monoplace accidentée a été transportée dans les anciens boxes du Nürburgring, j’ai pu aller l’inspecter grâce à la complicité du journaliste Franco Lini qui avait été autrefois directeur sportif de Ferrari et qui avait fortement conseillé à Enzo Ferrari d’engager Jo Siffert à la fin des années soixante. Cela m’a permis de constater que les roues ne s’étaient pas détachées de leurs essieux malgré la violence du choc. J’étais alors vraiment très soulagé pour tous mes mécaniciens», nous a confié Ermanno Cuoghi.
«Que s’était-il vraiment passé?», lui demandons-nous. «Mauro Forghieri, l’ingénieur de Ferrari, penchait pour l’hypothèse que les pneus n’étaient pas suffisamment montés en température et que Niki avait peut-être glissé sur une portion du circuit qui était encore humide», nous répond-il. Nous lui faisons alors remarquer que, comme pour l’accident mortel dont avait été victime Jo Siffert le 24 octobre 1971, nous ne connaîtrons jamais ce qui s’est réellement produit. Ermanno Cuoghi aquièsce
Ermanno Cuoghi nous montre le coffret
avec les trois Porsche 917 Gulf engagées
aux 24 Heures du Mans en 1970.
Photo Laurent Missbauer
et, avant de prendre congé de nous, il nous sort un coffret avec les trois Porsche 917 Gulf engagées aux 24 Heures du Mans de
Ermanno Cuoghi est le deuxième mécanicien
depuis la gauche. Il s'affaire à la roue arrière-gauche
de la Porsche 917 de Jo Siffert.
Photo Laurent Missbauer
1970, à l’échelle 1:43, avec trois mécaniciens, eux aussi en modèle réduit: «Tu vois», nous dit-il, «je suis celui qui s’affaire à la roue arrière-gauche de la voiture de Jo Siffert. Ah, Jo c’était un pilote fantastique. Une fois qu’il avait mis au point sa voiture, il s’y tenait et allait immédiatement très vite. Cela même si tous les réglages n’étaient pas parfaits à 100%. Pedro Rodriguez, qui était l’adversaire le plus redoutable de Jo Siffert au sein du Team de John Wyer qui faisait courir les Porsche 917 Gulf, modifiait au contraire sans cesse ses réglages sans pour autant toujours réussir à être plus rapide que Jo Siffert. Jo était un très grand champion. Tout comme Clay Regazzoni, qui était un gars formidable et qui venait toujours jouer au football avec les mécaniciens derrière les boxes. J’ai beaucoup aimé aussi Mario Andretti et Jacky Ickx, ainsi que Niki Lauda que j’ai pu à nouveau accompagner lors du Grand-Prix d’Autriche de 2015, plus précisément lors de la course des légendes que Red Bull avait organisée en ouverture du grand-prix à proprement parler.»

Niki Lauda et Ermanno Cuoghi lors de
la "Course des légendes" organisée en
ouverture du GP d'Autriche 2016.
Un Niki Lauda qui vouait – et qui voue toujours – une admiration sans borne pour Ermanno Cuoghi. D’ailleurs, quand le pilote autrichien quitta Ferrari à la fin de la saison 1977 pour aller courir au sein de l’écurie Brabham-Alfa Romeo de Bernie Ecclestone, il fit tout pour qu’Ermanno Cuoghi l’accompagne chez son nouvel employeur. Une belle reconnaissance du grand talent de son chef mécanicien italien. «Si j’ai remporté mes deux premiers titres chez Ferrari», nous avait confié Niki Lauda au Grand-Prix du Japon de 2011, «le mérite en revient aussi à Ermanno Cuoghi qui, en plus d’être un mécanicien extrêmement talentueux, est également une personne avec un très grand cœur.» Une personne qui nous a reçus avec beaucoup de chaleur. Veuf depuis huit ans, il a encore eu la douleur de perdre son fils unique lors d’un banal accident de moto à un stop il y a six ans.  Cela ne l’empêche cependant pas de rouler presque tous les jours avec une des motos de sa petite collection. Une activité qui le garde visiblement en grande forme. Agé aujourd’hui de 81 ans – «Je suis né le 5.5.1935 alors que Jo Siffert était né le 7.7.1936», nous confie-t-il –, il en fait facilement dix de moins. Il n’y a pas à dire, la moto, ça conserve. Et plutôt bien! 
Ermanno Cuoghi, tout à droite, un des meilleurs chefs mécaniciens du monde.

Ermanno Cuoghi, tout à droite, après la victoire aux 1000 Kilomètres de Brands Hatch de 1972 avec Mario Andretti (à g.)
et Jacky Ickx. Ermanno Cuoghi a été chef mécanicien chez Ferrari de 1972 à 1977.