Formule 1
Ermanno Cuoghi aujourd'hui. Photo Laurent Missbauer |
Ermanno Cuoghi, l’un des meilleurs mécaniciens
au monde, revient pour sur le terrible Grand-Prix d’Allemagne du 1er
août 1976
De Sala Braganza,
Laurent Missbauer, rédacteur
Laurent Missbauer, rédacteur
Premier août 1976, 1er
août 2016. Il y a exactement 40 ans, Niki Lauda faillit perdre la vie au
Nürburgring. Au lendemain du Grand-Prix d’Allemagne qui a été remporté dimanche
par Lewis Hamilton, Ermanno Cuoghi, ancien chef mécanicien du pilote autrichien
après avoir été celui des Suisses Jo Siffert et de Clay Regazzoni, revient sur ce
terrible accident que Niki Lauda appelle, cyniquement, le «barbecue du Nürburgring».
Couverture du livre que Jeremy Walton a consacré à Ermanno Cuoghi. Photo Laurent Missbauer |
«Ermanno Cuoghi n’est pas seulement un mécanicien extrêmement
talentueux, c’est également une personne qui possède un tempérament fantastique
et qui est toujours aimable, même lorsqu’il a parfois fallu réparer une voiture
de course jusqu’à 4 heures du matin.» Telles sont quelques-unes des louanges que
l’on peut lire dans la préface du livre que Jeremy Walton avait consacré en
1979 à Ermanno Cuoghi, l’un des meilleures chefs mécaniciens au monde.
John Wyer (à g.) avec Jo Siffert et Brian Redman (à dr.), brillants vainqueurs de la Targa Florio de 1970. Photo Porsche |
L'auteur de l'article avec Ermanno Cuoghi. Photo Anne Dayer |
C’est à Sala Braganza, une petite ville italienne qui n’est
pas très éloignée de Maranello, le fief de Ferrari, qu’habite aujourd’hui Ermanno
Cuoghi. Il nous a reçus dans son appartement où il goûte désormais à une
retraite amplement méritée. Pendant près de 50 ans, il a en effet parcouru
pratiquement toute la planète au service des plus grands champions. Après avoir
été associé aux victoires remportées par Jo Siffert au volant des célèbres
Porsche 917 Gulf, son nom est avant tout lié aux deux titres mondiaux de Niki
Lauda chez Ferrari en 1975 et 1977. Le pilote autrichien était même largement
en tête du championnat du monde de 1976 avant d’être victime du grave accident
que l’on sait, le 1er août 1976, au Nürburgring. Gravement brûlé, il
resta plusieurs jours entre
L'accident de Niki Lauda reconstitué pour les besoins du film Rush sorti en 2013. |
Quarante ans après ce GP d’Allemagne, Ermanno Cuoghi revient,
en exclusivité pour notre magazine «Grand Tourisme», sur ce qu’il qualifie «d’un
des pires moments de sa vie»: «Je me souviens très bien que le départ de la
course avait été donné sur une piste encore humide et que, le circuit s’étant
rapidement asséché, presque tous les pilotes s’arrêtèrent pour changer de pneus.
C’est juste après son changement de pneumatiques que Niki a eu son accident. Aux
boxes, nous avions entendu le speaker du circuit dire: «Niki Lauda a perdu une
roue et est violemment sorti de la piste». Dans ces conditions, tu t’imagines
tout de suite que tes mécaniciens n’avaient peut-être pas serré correctement un
des boulons des quatre roues. Et, en tant que superviseur de l’équipe de
mécaniciens de Niki, j’étais responsable de mes gars et j’étais dans tous mes
états car nous savions que c’était très grave et que Niki avait été héliporté à
l’hôpital de Mannheim.»
Ermanno Cuoghi examine ce qui reste de la Ferrari de Niki Lauda dans les anciens boxes du Nürburgring. |
Ermanno Cuoghi était certes persuadé que ses mécaniciens avait
effectué leur travail correctement, mais il voulait en avoir le cœur net. «Dès
que la carcasse de la monoplace accidentée a été transportée dans les anciens
boxes du Nürburgring, j’ai pu aller l’inspecter grâce à la complicité du
journaliste Franco Lini qui avait été autrefois directeur sportif de Ferrari et
qui avait fortement conseillé à Enzo Ferrari d’engager Jo Siffert à la fin des
années soixante. Cela m’a permis de constater que les roues ne s’étaient pas
détachées de leurs essieux malgré la violence du choc. J’étais alors vraiment
très soulagé pour tous mes mécaniciens», nous a confié Ermanno Cuoghi.
«Que s’était-il vraiment passé?», lui demandons-nous. «Mauro
Forghieri, l’ingénieur de Ferrari, penchait pour l’hypothèse que les pneus
n’étaient pas suffisamment montés en température et que Niki avait peut-être
glissé sur une portion du circuit qui était encore humide», nous répond-il. Nous
lui faisons alors remarquer que, comme pour l’accident mortel dont avait été
victime Jo Siffert le 24 octobre 1971, nous ne connaîtrons jamais ce qui s’est
réellement produit. Ermanno Cuoghi aquièsce
Ermanno Cuoghi nous montre le coffret avec les trois Porsche 917 Gulf engagées aux 24 Heures du Mans en 1970. Photo Laurent Missbauer |
Ermanno Cuoghi est le deuxième mécanicien depuis la gauche. Il s'affaire à la roue arrière-gauche de la Porsche 917 de Jo Siffert. Photo Laurent Missbauer |
Niki Lauda et Ermanno Cuoghi lors de la "Course des légendes" organisée en ouverture du GP d'Autriche 2016. |
Un Niki Lauda qui vouait – et qui voue toujours – une
admiration sans borne pour Ermanno Cuoghi. D’ailleurs, quand le pilote
autrichien quitta Ferrari à la fin de la saison 1977 pour aller courir au sein
de l’écurie Brabham-Alfa Romeo de Bernie Ecclestone, il fit tout pour
qu’Ermanno Cuoghi l’accompagne chez son nouvel employeur. Une belle
reconnaissance du grand talent de son chef mécanicien italien. «Si j’ai remporté
mes deux premiers titres chez Ferrari», nous avait confié Niki Lauda au
Grand-Prix du Japon de 2011, «le mérite en revient aussi à Ermanno Cuoghi qui,
en plus d’être un mécanicien extrêmement talentueux, est également une personne
avec un très grand cœur.» Une personne qui nous a reçus avec beaucoup de chaleur.
Veuf depuis huit ans, il a encore eu la douleur de perdre son fils unique lors
d’un banal accident de moto à un stop il y a six ans. Cela ne l’empêche cependant pas de rouler
presque tous les jours avec une des motos de sa petite collection. Une activité
qui le garde visiblement en grande forme. Agé aujourd’hui de 81 ans – «Je suis
né le 5.5.1935 alors que Jo Siffert était né le 7.7.1936», nous confie-t-il –,
il en fait facilement dix de moins. Il n’y a pas à dire, la moto, ça conserve. Et
plutôt bien!
Ermanno Cuoghi, tout à droite, un des meilleurs chefs mécaniciens du monde. |